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Redu

L. Vander Heyden & Fils

L’art, l’ouvrier, l’artisan

À l’entrée de l’atelier de reliure, Roland Vanderheyden me présente un tableau marqué
de sa patte. « Que vois-tu ? », m’interroge-t-il.
« Euh, un livre qui se détache de la mer ? ».
Je réponds avec peu d’assurance ; c’est mon premier entretien de la semaine. Roland me raconte alors : « quand vous rentrez dans une bibliothèque, qu’y a-t-il ? C’est quoi ces milliers
de livres ? Des milliers d’histoires. Et quand vous regardez la mer, elle est plate ? Mais quand vous rentrez dessous, c’est des milliers d’histoires. »
Il ajoute, « pleins d’histoires que le papier a imprimé dans le temps ».

La société familiale fut créée par le grand-père de Roland, Monsieur Liévin Vanderheyden, en 1929. À Bruxelles, le grand-père, père et fils travaillaient avec une dizaine d’employés : pendant 86 ans, l’atelier de reliure avait comme client important une maison d’édition juridique. Ils concevaient ensemble nombre d’ouvrages pour notaires, avocates, juges… une centaine de livres en cuir par semaine ! Roland me parle donc des lois qui datent de Marie d’Autriche, du cadastre belge, de lois de chasses ancestrales. J’essaye de suivre.

 

Puis, Roland me parle plutôt de l’aspect technique du livre dès l’invention du papier en Chine. Il y a une cinquantaine de phases
à la reliure, du débrochage à la mise en presse. Il me montre son matériel, les cuirs, les fleurons, les papiers marbrés, les rouleaux de toiles, et bien sûr d’incroyables albums photos avec ses réalisations.
Je commence à réellement comprendre que le métier de relieur
est non seulement un métier de talent inouï, mais surtout, qu’il faut maîtriser un nombre incalculable de compétences : savoir coudre, tisser, couper au bistouri, grecquer, encoller, arrondir, poncer, calculer et innover. Pas de place à l’erreur lors de toutes ces manipulations.

Pour ‘souffler un peu’, Roland et son épouse déménagent
à Redu en 1996. Seulement, il s’avère qu’ils ne vont pas souffler longtemps car Roland acquiert un client qui va l’occuper 10 ans. « Monsieur, est-ce que vous savez relier des registres de cadastres grand-ducal ? Il n’y en a que 10,000. » C’est donc
le premier ministre grand-ducal qui a signé une garantie
à la banque pour que Roland puisse acheter sa maison à Redu. Roland ne manque pas d’histoires en ce genre. Il me parle de toutes sortes de personnalités rencontrées, il me montre une photo en compagnie de la reine Fabiola. Parmi ces clients, il compte des écrivains New-Yorkais, des sociétés d’armements, des grands noms de l’industrie cosmétique, des architectes et des sociétés pharmaceutiques. Il me raconte qu’un jour, en rendez-vous chez une cliente, il est tombé sur les lettres coquines du mari à son amante. Cela nous fait rire.
Des histoires divertissantes, Roland en a à n’en plus finir.

À Redu, une nouvelle clientèle s’est offerte à lui. Ce sont des bibliophiles, des clients moins stressés, des gens plus conscients des prix du métier. « C’est un métier un peu bizarre », me dit Roland. « Être indépendant, c’est une liberté qu’on paye ». Pendant notre interview, une jeune femme est passé dire au revoir à Roland, lui tendre une lettre. Celle-ci était son apprentie pendant 3 ans, mais

n’a finalement pas su prendre la relève. C’est un moment difficile, et je me fais discrète. Roland va fermer son atelier cet été, après 60 ans de carrière. Mais une chose est certaine, il sera occupé à d’autres projets ! Pour lui, le livre est sacré, c’est quelque chose de véritable qui inscrit l’histoire de l’homme. Roland m’a accueilli à bras ouvert dans son atelier, m’a raconté de belles histoires, des histoires touchantes, d’autres comiques. Je suis abasourdi par son talent, par sa carrière, par sa passion, et par sa généreuse amicalité.